lundi 29 mars 2010

Gonjasufi :« A Sufi and a Killer» (Warp, 2010)


Il est toujours intéressant de relever les mouvements inconscients qui trament les sphères culturelles. Celle où je porte naturellement le plus d'attention est la musique. En restant à l'affut des nouvelles tendances et en redécouvrant les anciennes. Depuis quelques temps déjà, on assite à une recrudescence de l'esthétique lo-fi dans les productions musicales. Mais un lo-fi voulu, se voulant intégré à la recherche musicale et non pas nécessairement vu comme une contrainte. Récemment, et j'en parlais un peu sur ce blog, les écrivains du Wire ont mis au monde le terme Hypnagogic Pop pour définir un mouvement musical résolument lo-fi, s'inspirant des années 80. Ceci faisait suite au courant dit de «Hauntology» où l'utilisation d'échantillons de musique de bibliothèque générique était de mise, rappelant un passé enfoui.

Parallèlement, l'ouverture sur les musiques du monde provenant d'Orient, d'Afrique, d'Amérique du Sud connaît aussi un développement intéressant, toujours avec une esthétique lo-fi. On peut penser aux groupes issus d'Afrique tels; Konono #1, Staff Benda Bilili, Tinariwen.... Bref plusieurs ont réussi à sortir d'un underground culturel où ils étaient confinés. Mais l'underground existe toujours....

Le Hip-Hop, fidèle à ses habitudes d'échantillonage, n'est pas en reste. Avec Madlib et OhNo en tête d'affiche, la musique dite «world» retrouve ses lettres de noblesse grâce à des productions usant allègrement d'échantillons retravaillés, plaqués sur des beats qui plaisent aux amateurs.

Quel est le lien avec Gonjasufi me direz-vous? Et bien, tout simplement que ce disque s'inscrit de plein front dans cette esthétique et cette mouvance et que ce n'est pas surprenant (un peu) de voir Warp s'intéresser à cet artiste. Mais comme toute musique underground expérimentale, elle se pointera le nez dans la musique populaire sans redonner à ce dont elle s'est inspirée. Comme Karkwa qui découvrent le piano préparé...

L'album «A Sufi and a Killer» est la collaboration du chanteur Gonjasufi et du beatmaker GasLamp Killer. Ce dernier a produit presque tous les beats, les autres étant de Mainframe et un est de Flying Lotus.... D'ailleurs GLK fait partie du crew de Flying Lotus et, d'après moi, si ce n'était de ce dernier, ce disque ne se serait jamais rendu dans les bureaux de Warp et serait resté une perle de l'undergound. Seulement, plusieurs éléments étaient déjà en place pour justifier le succès que le disque connaît. Car s'il y a quelquechose dont ce disque souffre, c'est bien les emprunts évidents à des styles ou des tendances un peu moins connues.

Au niveau des paroles et de la voix, Gonjasufi n'invente pas la roue et vient se placer dans la lignée des Daniel Johnston, Wesley Willis de ce monde. Le freak qui marmonne un peu n'importe quoi, avec des paroles parfois hyper naïves, auxquelles ont veut nous faire croire à une profondeur spirituelle... Certains pourront questionner sa santé mentale en fonction de l'image qu'on veut nous vendre de lui. Mais ses entrevues sont super intéressantes et il semble avoir toute sa tête. Sa façon de chanter me fait penser au premier disque de Dudley Perkins; chanteur qui n'en est pas vraiment un, à la voix brut mais au charme indéniable. D'ailleurs, je mettrais également le premier album de Devandra Banhart dans cette catégorie.

Au niveau des beats, c'est intéressant. J'ai déjà décrié le manque d'originalité de OhNo et ses productions «empruntées» à Selda Bagcan. Ici c'est parfois pareil (pas tous le temps, ce qui fait aussi la richesse du disque). Je me répète, mais le label Finders Keepers, poursuit une mise à jour et un corpus anthropologique phénoménal en ressucitant des classiques de musiques orientales issues des années 60-70. en passant, leur plus récente sortie, «Pomegranates» est une compilation de musique iranienne des années 70, où se mélangent folk, disco, funk, musique arabisante...pleins de bons breaks! Le label Sublime Frequencies aussi, tout comme les gens derrière la série Éthiopiques. OhNo s'y est plongé abondamment en nous servant récemment un disque composé de samples d'Éthiopiques. Gas Lamp killer suit donc OhNo de près. Il a composé des bons beats, échantillonnant beaucoup de musique orientale, des trucs qu'on retrouve sur les labels cités ci-haut. Une première écoute m'a tout de suite donnée l'impression que j'écoutais un mélange d'Omar Souleyman et de Dudley Perkins. Non seulemet les samples sont familiers, mais certains breaks de drums ont été déjà surutilisé. L'échantillon de piano sur la pièce «Advice» est le même que «The Earl Town Hermit» sur l'excellent disque de Recyclone et Soso «Stagnation and Woe». Et d'autres sons sont tout aussi familiers (le loop du track «Duet»). Certains beats sont définitivement dans l'école post-dilla et celui produit par Flying Lotus ressemble à une prod de MF Doom combinée avec Jay Dee.

Maintenant, parlons un peu de cette esthétique lo-fi, avec des voix trempées dans le delay et autres effets. C'est la raison principale pour laquelle j'ai eu Omar Souleyman en tête, le côté lo-fi de la prod orientalisante, qui est somme toute, bien réussie. Mais cette utilisation d'effets dans la voix, des paroles à la limite du discernable, a déjà fait des petits dans l'underground avec les Skaters, Ferraro, Sun Araw... Dans le même style, l'écoute de Gary War «Horrible Parades» reste plus excitante

J'ai discuté de cette approche lo-fi avec un ami et ce, à la lumière du nouveau disque de Ghislain Poirier. En voulant reprendre des rythmiques plus près du Soca, Poirier s'est heurté au côté lo-fi de la chose: synthé cheaps, des vieux beatbox... Celui-ci semble avoir voulu conserver l'esthétique avec des moyens plus modernes. Ce qui au final fait que certains beats sonnent «cheap». Il y a une raison qui justifie le retour aux machines analogues....

Mais n'allez pas penser que le disque de Gonjasufi n'est pas bon. Au contraire, c'est vraiment bien. Des pièces comme «She's Gone» et «I've Given» sont totalement magiques (et il y a en a pas mal d'autres) et l'écoute dans l'ensemble est très bonne. Seulement, il ne s'agit pas d'un disque transcendant, criant d'originalité comme on veut un peu nous le faire croire. Mais chapeau à Warp d'avoir suivi le mouvement...



Et un vidéo écoeurant de Omar Souleyman!!!

2 commentaires:

  1. Merci pour ton article très intéressant.
    Ceci dit, même si Gonjasufi n'a rien inventer, je trouve son album vraiment bien foutu et c'est une des réussites de ce début d'année.

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  2. Woo!
    merci pour Gonjasufi. Je connaissais pas...

    Dans un autre ordre d'idée, je me demande vraiment de quoi ça parle les tounes d'Omar Souleymane. J'aime imaginer qu'il dit à peu près les mêmes affaires que dans une toune de DJ Khaled, mais ça m'étonnerait...

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