lundi 7 novembre 2011

Rap et Free-Jazz: Chroniques d'une (non) rencontre pt. 2


Mais le propos qui nous intéresse est plus pointu, plus obscur, il questionne essentiellement la non-rencontre de l’art vocal du rap et du free-jazz. Et qui dit free-jazz, dit aussi « Fire Music » new-yorkais; un free-jazz urbain, afro-américain qui est né dans le même environnement que le hip-hop moins de vingt ans plus tôt. Il est étrange de parler de non rencontre, ou de non-lieu d’une rencontre, quand on parle de ces deux styles car la ville de New-York a joué un rôle important dans l’émergence des deux genres. Si le constat est plus difficile pour le free-jazz, il demeure plus évident pour l’ensemble de la culture Hip-Hop, celle-ci s’étant consolidée dans les rues du Bronx. Nous sommes au milieu des années 70. Quelques années auparavant, Albert Ayler, Ornette Coleman, Cecil Taylor, Sun Ra (de 1961 à 1970), occupent la ville et tentent de survivre comme ils peuvent en s’accrochant à leurs explorations et en réinventant les genres. Le trompettiste Bill Dixon organise de son côté l’ « October Revolution » en 1964. D’où vient la faille, la cassure entre les deux genres pourtant géographiquement très proches? Peut-on penser que l’exode massif des musiciens en Europe a fait taire le free-jazz dans les clubs et les lofts de New-York, sont caractère « uncool », son manque de commercialisation et sa nature underground ont nui à sa réappropriation par un genre musical en quête d’identité et de richesses ?



On pourrait penser que l’association avec le free-jazz, la Fire Music, aurait pu s’accomplir. Mais il semble que dans les deux démarches, une scissure infranchissable les sépare. Si le hip-hop a pris naissance dans les mêmes terreaux fertiles que le free-jazz, et s’est associé aux mêmes valeurs et revendications, comme la voix du peuple afro-américain en marge des grands courants musicaux modernes et commerciaux, ceux-ci ne se sont jamais rejoints, ou du moins, pas comme plusieurs l’auraient espérés. Peut-être que cette non-rencontre résulte d’une erreur méthodologique que plusieurs font en ce qui concerne la naissance du hip-hop et du rap en particulier. Car il apparaît pour certains que le hip-hop tient plus du reggae et du dub et que l’émergence des mc’s s’approche plus des toasters jamaïcains que des artistes spoken word. Par ailleurs, si le spoken word d’Amiri Baraka était soucieux de véhiculer un message et de s’adresser à la population afro-américaine, les premiers mc’s du hip-hop étaient beaucoup plus intéressés à faire la fête et divertir les gens…



Il est intéressant de noter au passage que les premiers poètes connus pour avoir posé leur voix soutenus par des musiciens jazz étaient associés aux beatniks; Jack Kerouac, Allen Ginsberg et surtout Leroi Jones (qui deviendra Amiri Baraka). Les deux mouvements se situant en marge de la société lors de leur rencontre vers la fin des années 50. Par la suite, les exemples les plus connus de jazz et spoken word sont ceux de Gil-Scott Heron et de son groupe The Last Poets ainsi que The Watts Prophets, ces deux groupes étant souvent considérés comme des précurseurs du rap. Mais est-ce bien vrai? L’association spoken word et jazz s’est fait naturellement au sein d’une communauté afro-américaine en pleine révolution (voir le livre "Free Jazz Black Power"). La parole devenait un élément d’émancipation, car lorsque se libère une voix qu’on a fait taire pendant deux cent ans (et plus!) elle ne peut qu’être consciente de son poids, de la force de ses mouvements. Mais la suite, dans ce continuum d’expérimentation révolutionnaire, s’est fait de façon plus discrète, moins ouverte, et surtout moins populaire. Quand les textes cherchent à passer un message, il leur faut un support permettant leur diffusion au plus grand nombre. Et le free-jazz s’avère être un mauvais médium pour atteindre cette finalité.



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