dimanche 13 novembre 2011

Rap et Free-Jazz: Chroniques d'une (non) rencontre pt. 3


Le poète américain le plus connu pour son association avec le free-jazz est sans aucun doute Leroi Jones, connu par la suite sous le nom d’Amiri Baraka. Travaillant à l’élaboration du Black Arts Movement, Baraka s’est fait la voix des jazzmen de l’ombre, ceux qui refusaient toute étiquette et qui ne cherchaient qu’à se libérer d’un carcan musical construit par les attentes de l’Autre, le consommateur blanc. Ses collaborations les plus connues sont l’album "A Black Mass"(1968) avec le Sun Ra Arkestra, sa collaboration avec le batteur Sunny Murray sur « Sonny’s Time Now »(1965) et sans oublier le disque du groupe The Jihad « Black and Beautiful …Soul and Madness » (1968), trois albums parus sur le propre label d’Amiri Baraka, Jihad Productions, qu'on peut trouver ici . Il faut souligner aussi les magistrales collaborations au sein du New-York Art Quartet avec John Tchicai, Milford Graves, Ruswell Rudd et Lewis Worrell. Il a aussi publié le livre « Blues People » (1963), qui, s’il était écrit aujourd’hui aborderait la musique rap et si on se fie à ses dernières conférences sur le sujet, décrierait la mainmise des corporations sur la musique et l’ineptie des messages proposés par les rappeurs populaires. Mais faire le lien entre Amiri Baraka et la rap suppose de faire un pas de géant. Quand on l’entend déclamer ses textes sur la musique de Sunny Murray, par exemple, il y aune intensité, ou une liberté qui se contraint mal du rap.





Un lien plus évident, que j'ai découvert grâce à la récente réédition du disque de Bill Plummer and The Cosmic Brotherhood, nous met en contact avec un proto-rap datant de 1968. Sur la pièce « Journey to the East» Hersh Hamel, joueur de basse et de sitare, livre un spoken word rythmé et quasi chanté, sur une pièce indo-jazz psychédélique. Sa façon de déclamer son texte est beaucoup plus proche du rap que beaucoup de ses contemporains, car il intègre ici un aspect important du rap, soit le flow. Ce disque est sorti originalement sur le label Impulse mais vient d’être réédité cette année par l’étiquette Get On Down. Un excellent disque de jazz et de reprises pop avec des instruments indiens. Cela étant dit, on peut quand même se le procurer sur Mutant Sounds.




Suite aux années soixantes, d’autres poètes contemporains ont tenté l’expérience, on pense entres autres à David Budbill et sa collaboration avec le contrebasiste William Parker « Zen Mountains Zen Streets » ou le Judevine Mountain Trio avec l'ajout du batteur Hamid Drake. Mais l’association poésie et musique expérimentale demeure marginale, même aujourd’hui. Il faut explorer des réseaux de diffusions littéraires plutôt que musicaux pour dénicher les perles et quant au free-jazz, l’association se fait de moins en moins. La distinction entre free-jazz et musique expérimentale acoustique se fait aussi de moins en moins évidentes, ce qui donne lieu à des disques hybrides, improvisés mais s’éloignant du jazz. Deux disques intéressants dans le genre demeurent deux albums solos du chanteur/conteur Robin Williamson du Incredible String Band sortis sur ECM. On remarque la participation lumineuse du violoniste Mat Maneri, du contrebassiste Barre Phillips et du saxophoniste Paul Dunmall.



Beaucoup plus près de nous, on peut entendre Ian Ferrier et son disque/livre «Exploding Head Man », le poète Patrice Desbiens accompagné par le groupe Les Moyens du Bord et le disque de Fortner Anderson « Solitary Pleasures », qui sortira prochainement sur & Records, où il est accompagné de Michel F. Côté, Sam Shalabi et Alexandre St-Onge. Par contre, dans le registre free-jazz, le plus récent disque que j’ai entendu qui met en scène une parole poétique est le dernier album de Matana Roberts sorti sur le label Constellation « Coin Coin Chapter 1 : Gens de Couleurs Libres ». Parce que Roberts cherche à se réapproprier une trame narrative historique propre à son histoire personnelle, l’utilisation de la voix devient un incontournable. Par le fait même, elle a produit un disque d’une rare intensité, proche du fabuleux disque d’Eddie Gale « Ghetto Music » (trompettiste qui a joué avec The Coup). Elle utilise la voix comme l'ont fait avant elle les Linda Sharrock et Patty Waters, elle chante, déclame, hurle, crie, tout pour se réapproprier la dit-mension de la parole. Un des meilleurs disques de free-jazz écouté cette année.

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