jeudi 10 juin 2010

Que faire de la poésie...


Un des plus beau exemples de branding des cinq dernières années s'est fait dans la musique. Happant au détour la poésie et l'art oratoire. Il s'agit du terme "Slam" qui est mis en cause. Depuis environ cinq ans, on dirait que le terme s'est instillé dans le vocabulaire québécois créant de superbes expressions telles : "T'as fait un bon slam" lorsque , par exemple, je ne faisais que rapper. avant qu'on nous exporte Grand Corps Malade, pas beaucoup de gens au Québec avaient entendu parlé du Slam. D'ailleurs, je crois qu'avant 2000, ceux qui s'y intéressaient venaient 1) du rap, ou 2) étaient anglophones. Pour moi, le terme slam a été défini par le film du même nom, mettant en vedette Saul Williams, que je considérais comme un rappeur (et que je considère toujours comme tel)et que j'admirais préalablement au visionnement du film. Dans ce film, il participe à une soirée Slam, telle qu'elles existaient depuis plusieurs décennies et existent toujours par ailleurs. C'est-à-dire une joute oratoire, avec des règles, des juges, des points attribués. Le slam n'est pas un style de musique et encore moins un sous-produit de la poésie. Mais les temps changent et les définitions aussi, les mouvements de masse étant plus fort que celui de particuliers qui s'évertuent à rétablir les choses. Maintenant si on me dit que je fais du slam, je réponds parfois oui, parfois non, dépendamment de mon humeur.



c'est dommage qu'on n'ait pas parlé du slam plus tôt au Québec, ou non, c'est dommage que l'art oratoire, la poésie parlée n'ait pas eu de vitrine plus intéressante. Il a fallu le succès commercial d'un artiste français pour qu'on embarque dans le "bandwagon", comme on dit. Dommage car on est passé à côté de pleins de trucs, surtout anglophones (mais ça c'est un autre débat): les Coco Café, la poétesse/mc Buttafly, Alexis O'Hara, Ian Ferrier, Patrice Desbiens et pleins d'autres que j'ignore.

Le slam au Québec est décontextualisé, la nécessité de l'utiliser pour traduire un style musical est, me semble-t-il un aberration. Parce que, tenez-le-vous pour dit, de la poésie parlée, rythmée sur de la musique, qui n'est pas nécessairement du rap, ben il en a eu, en France de surcroît et il y a pas si longtemps. Un collègue mélomane français a attiré mon attention vers un groupe que je ne connaissais pas du tout et sur leur premier album en particulier. Il s'agit du groupe Programme et de leur disque "Le cerveau à la place de la bouche". Vous en vouliez du slam? En voilà. Du foutrement bon; des textes acides sur des musiques expérimentales intéressantes et c'est sorti en....... 2000. donc au moins 6 ans avant qu'on entende parler de notre ami Fabien Marceau. Leur site est très intéressant et vaut le coup d'oeil.

Un autre album intéressant dans le même genre, sorti en 2005, est celui de Non-Stop "Road movie en béquilles". Je suis prêt à parier que mes concitoyens québécois n'ont jamais, mais jamais entendu parler de ce type. Pourtant c'est aussi excellent. Ce disque contient un chef d'oeuvre, la pièce "Le fils du soldat inconnu" est une histoire initiatique Lynchéenne narrée sur un fond musical sobre mais totalement captivant. C'est disons, plus hip-hop dans la rythmique des morceaux et le chanteur plus près du rap que Programme. c'est un disque que Martial, le disquaire du Total Heaven à Bordeaux m'avait suggéré.



Tout ça pour en venir à parler des groupes français qui oscillent dangereusement entre le rap et ce qu'on nomme le slam. Le groupe Psykick Lyrikah par exemple est tout simplement génial. Découvert par hasard sur un blog hip-hop français, j'ai fait des pieds et des mains pour me procurer les albums de ce groupe Rennais et leur plus récent, "Vu d'ici", était en tête de liste des disques à acheter lors de ma première tournée en France en 2008. C'est le rappeur Arm qui est le plus intéressant dans ce projet. Les beats sont supers, mais sa poésie est dense et ses images des plus suggestives. Il y a une noirceur incroyable à ces disques... Mon préféré reste le premier : "Des lumières sous la pluie".



Plus récemment, c'est le premier disque du groupe No: "Diagone" qui vient dans cette alternative référentielle où le rap se veut plus poétique, moins rythmique et où les rimes sont plus scandées comme des slogans que "flowées", si je peux me permettre l'expression. Seb Casino, la rappeur musicien derrière ce projet propose une musique sombre, près de l'industrielle mais avec une teinte parfois noise, parfois baroque (notez la présence de clavecin). Vraiment un disque intéressant qui se démarque du rap français conventionnel. Seul point faible, ce flow parfois scandé qui rappelle une technique un peu primitive, propre à un rap français plus old-school début 90.

Mais est-ce du slam? NON!!! Arrêtez. No c'est du rap, comme Héliodrome est du rap. Exemple criant; après ma performance au Festival de musique Actuelle de Victoriaville avec les Filles Électriques,le 21 mai dernier, un québécois francophone vient me féliciter pour mon slam, tandis que quelques instants plus tard,un amateur américain lui vient me féliciter pour mon rap... Autre exemple intéressant, propre au Québec cependant: On m'a proposé d'écrire un texte sur la vie de Miles Davis. Une amie québécoise trouve cela inaccessible, trop hermétique mais le producteur, un français soit dit en passant, trouve ça super bon... Car une chose qui est propre au slam, c'est de rendre la poésie accessible, simple, utilisant des mots pouvant être compris de tous. Et cela s'inscrit directement dans la veine du malaise culturel québecois, où tout doit être accessible et où on se refuse une certaine forme d'élitisme. Aussi, l'élément de référence culturelle y est majeur dans la définition qu'on fait des mots et des genres. Doit-on continuer à se battre pour se sortir de la définition fourre-tout du slam?

Soit dit en passant, je serais en spectacle sous la tente "Slam pepsi" des Francofolies de Montréal le samedi 12 juin à 19h, avec le projet de poésie et musique expérimental Erlenmeyer. Accessible la poésie? Pas sûr...

6 commentaires:

  1. J'adore ce passage de "Slam" où Saul termine sur des lyrics de Public Enemy. Je me souviens que j'en avais eu des frissons dans la salle de cinéma. J'étais tout de suite allé me réécouter super fort le titre "Ohm" sur la compile "Lyricist Lounge" après ça!! :)

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  2. Très bel article, je viens faire un tour ici parce que Jacques sur Train de nuit parle un peu de cet article.

    (je pense qu'on a eu un cours d'université ensemble by the way, spiritualités amérindiennes).

    Bref, à la question "Doit-on continuer à se battre pour se sortir de la définition fourre-tout du slam?", je ne sais si se battre est la meilleure option, mais disons qu'informer, clarifier, baliser l'utilisation du terme slam me semble encore utile et nécessaire. Même si au sein même du mouvement, les définitions et les références divergent!

    Belle réflexion et j'ai bien hâte de voir ce que sera le slam au Québec dans 10 ans!

    En attendant, ça fait deux ans que le Québec finit deuxiême à la compétition internationale de slam (en France)! Et ce sont des artistes qui ne sont pas à ma connaissance issus du rap, qui ne slament pas en rimes, qui ne sont pas particulièrement engagés. Comme quoi se sortir des stéréotypes "slam" plaît au public aussi!

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  3. la poésie est toujours accessible...si tant est que tu aies l'oreille disponible.^^

    au cas où ça t'intéresserait: "quel est le sens d'un mot?"

    et, éventuellement, une expérience culturelle intéressante (c'est rare, profites-en): va lire le sonnet 11 de will shakespeare et devine à qui s'adresse le poème....

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  4. Je n'ai jamais prétendu que le slam devrait être relié au rap, au contraire. Que le Québec termine deuxième, tant mieux, pour eux... tout le monde peut faire des compétitions de slam et de tous les horizons possibles. Ce qui me dérange, c'est la propension d'un certain public (francophone, soit dit en passant) de catégoriser des artistes dans ce nouveau genre musical qu'est slam quand ces mêmes artistes ne se sont jamais associé à un tel mouvement. Mon exemple personnel est que j'ai toujours fait du rap un peu plus poétique, plus parlé, depuis 95 et depuis deux-trois ans ont me dit que je fais du slam...alors que pour moi j'ai toujours fait du rap...

    Je n'ai pas demandé cette étiquette et m'en suis jamais réclamé.

    Maintenant, quand je parle que la poésie n'est pas accessible, c'est dans le contexte du spectacle d'Erlenmeyer aux Francofolies. Erlenmeyer est un groupe de musique et de poésie expérimental, un laboratoire où on essaye pleins de trucs différents et qui rebute le public général. Et oui, monsieur gmc, la poésie est toujours accessible même en dehors des mots parlés ou écrits.

    Pour le reste je ne suis pas sûr de comprendre... "quel est le sens d'un mot" ? euh...ok....question philosophique lancée pour ma réflexion personnelle? Titre d'un ouvrage que je devrais lire? Éclairez-moi. Surtout que je ne suis pas doué pour les devinettes...

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  5. à toi de voir si tu as envie d'étiqueter la question comme 1/ totalement débile 2/ franchement anecdotique 3/ extrêmement profonde...ça reste ton privilège de choisir.

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  6. Ce qui est frappant pour ceux qui lisent de la poésie depuis, disons, les années 90 (ou même avant, bien sûr), c'est la méconnaissance des gens du slam de la poésie. La démarche des slameurs est souvent naïve, clichée et sans aucun lien avec ce qui s'est fait en poésie au fil des siècles. Aucune réflexion, aucune théorisation. Le simple fait qu'il y ait autant de rimes pauvres et plates en est un exemple absolu. Le slam n'a pas d'avenir parce qu'il ne se remet jamais en question.
    Le rap, c'est encore pire: rimes clichées, pauvres et fautives. Orthographe déficiente, anglicismes horribles, etc.
    L'autosatifaction des slameurs et des rappeurs est une preuve de leur manque de rigueur.
    Donc, invitation à parfaire ses connaissances poétiques...

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