lundi 4 juin 2012

American Cloud Songs : "Aum" (Dais Records, 2012)

Il existe un monde foisonnant d'idées, de créations diverses, de rencontres. Plusieurs portes y donnent accès mais la musique s'est avérée celle qui , pour moi, m'a permis d'explorer aussi la philosophie et les autres formes d'arts. Lorsqu'on ouvre cette porte et qu'on se lance dans l'inconnu, en suivant la pulsion de l'action libre, on y plonge sans savoir ce qui pourra remonter à la surface avec nous. Ces derniers mois, je me suis retrouvé à écumer les blogs musicaux, découvrir d'obscurs labels européens et dépenser une quantité incroyable d'argent pour acheter des vinyles. Je ne sais jamais si je dois céder à la culpabilité ou tout simplement vivre l'extase du moment, de la découverte. J'imagine que ce blog me permet de liquider l'angoisse et de donner une fonction à l'excès. American Cloud Songs est le projet de Robert Ryan, un musicien dont je n'avais jamais entendu parler. C'est grâce aux invités sur son disque que mon attention a été interpellée. J'ai remarqué en premier lieu le nom du saxophoniste Daniel Carter. J'ai fait la connaissance de ce musicien en tant que membre du groupe free-jazz Test et les autres disques de jazz auxquels il a participé ont souvent retenu mon attention, en particulier à cause des riches lignes mélodiques qu'il parvient à suivre tout en se faufilant dans l'abstraction. Mon disque préféré demeure "Luminescence", un duo avec le contrebassiste Reuben Radding paru en 2002. Depuis, son nom est ressorti dans différents contextes musicaux et ma surprise fût de le retrouver sur un disque de Wooden Wand & The Vanishing Voice " Gypsy Freedom", en 2006. Sur cet album Daniel Carter se joint à un groupe freak-folk et laisse courir libre son saxophone sur plusieurs pièces, nous offrant ainsi un superbe mélange de folk et de free-jazz. En suivant cette association d'idées, la surprise était de moindre importance quand j'ai vu le nom de Nathan Bell en tant que collaborateur à American Cloud Songs. Ce dernier s'est fait connaître comme membre du groupe Lungfish durant une courte période de leur existence. Depuis quelques années, il a sorti des disques solo au banjo, en duo au sein de Human Bell et l'excellent vinyle "Colors" sur le label anglais Lancashire & Somerset. On le retrouve ici au banjo, au dulcimer et à la trompette. Ces deux noms se sont avérés suffisants pour me faire plonger tête baissée dans ce disque remarquable. Plusieurs autres musiciens sont présents aux côtés de Robert Ryan, ce qui nous invite à penser American Cloud Songs en tant que groupe plutôt qu'un projet solo, même si les compositions sont crédités à Ryan. Musicalement, ce disque se hausse d'emblée dans mes découvertes de l'année. On retrouve une base de folk élevée au niveau d'un ensemble de musique de chambre, avec des relents de jazz et de minimalisme classique, surtout à cause de la présence de piano, du violoncelle de Meaghan Peters et de la viole de Jon Francis. Une structure à la guitare ou au banjo, enrichie d'arrangements de cordes teintés de néo-classicisme, accompagnés bien souvent de saxophone, flûte ou trompette free.Certaines pièces ne seraient pas déplacées sur un disque de folk-jazz d'ECM. Par moments la musique ressemble à certaines compositions de James Blackshaw lorsqu'il joue avec d'autres musiciens. Sauf qu'American Cloud Songs va un peu plus loin et se permet de puiser son inspiration dans la musique indienne, comme sur "Gayatri Mantra", qui rappelle Master Musicians of Bukkake, tout en étant plus posé et moins frénétique que ces derniers. On sent une certaine retenue sur la plupart des pièces, avec des montées de tension travaillées qui donnent un ton légèrement post-rock à la Godspeed You Black Emperor. Mais pour échapper aux comparaisons, il faut se laisser surprendre par l'ouverture de l'album; "Light On the Path", un espèce de morceau dub avec une ligne de basse bien grasse. Enfin, lorsque Ryan chante sur la pièce finale "Obeisance to The Great God", on a l'impression d'entendre Daniel Higgs et on est vite ramené à une comparaison facile. En faisant quelques recherches, je me suis aperçu que Robert Ryan a déjà joué avec Daniel Higgs et que les deux partagent la même passion pour le tatouage et l'inspiration mystique. Même qu'en matière de tatouages, il a arrive parfois que les deux soient mentionnés dans la même phrase. Après avoir admiré les oeuvres de Ryan, on ne s'étonne plus qu'il ait voulu prioriser la ligne mélodique dans sa musique, suivant ainsi une ligne parallèle à son art visuel. Celui-ci s'inscrit dans l'école américaine traditionnelle dite de Sailor Jerry (mentor de Ed Hardy...), intégrant des éléments issus de la métaphysique, du psychédélisme, de l'occultisme et de l'hindouisme. On est rapidement attiré par ses couleurs étincelantes et des formes parfaitement découpées, qui contribuent à maintenir une fluidité harmonique propre aux dessins de cartoons. La pochette du disque est aussi magnifique, soulignons-le. J'ai découvert par la suite que Robert Ryan a fondé le collectif Harmonize Most High avec Daniel Carter; un collectif de musiciens cherchant flouer la frontière entre les deux aspects de la divinité, en passant du transcendant à l'immanent et vice-versa. Cependant, il apparaît comme clair que ce mouvement de l'extérieur vers l'intérieur, suivi d'un retour vers l'extérieur à travers l'action, produit un excédent, ou un reste. La musique de Robert Ryan sert à agir cette part maudite qui a besoin d'être rejetée à l'extérieur, offerte en sacrifice aux dieux qui président aux destinées humaines. Excellent disque. En passant, Harmonize Most High ont deux albums à leur actif et je viens de commander leur plus récent vinyle. Il m'est donc impossible de commenter Portefolio en ligne de Robert Ryan

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