dimanche 4 décembre 2011

Rap et Free-Jazz: Chroniques d'une (non) rencontre pt. 6 (FIN)


Pour clore cette série, je me dois de parler des outsiders. Car il y a toujours des électrons libres, des groupes qui s'associent peu aux autres et qui ne font pas partie d'un mouvement collectif ou d'une scène particulière. Le meilleur groupe nous permettant de faire la transition entre ces deux mondes est le groupe de Cincinnati Is What?!, formé du rappeur Napoleon Maddox et du saxophoniste Jack Walker. Le premier a déjà été mentionné en lien avec le disque de DJ Spooky "Optometry". Sur ce disque, Napoleon apparaît sur le morceau "Parachutes" avec le saxophoniste Daniel Carter. J'ai appris d'un ami qu'en fait ce morceau était un remix de la chanson du même nom sur le premier album de Is What?!. La particularité du groupe réside dans le fait que Napoleon est aussi beatboxer et parvient à intégrer cet art dans une esthétique plus free sur certaines pièces, ce qui rend l'ensemble encore plus intéressant. Leur premier album, intitulé «You Figure It Out» (Hyena Records, 2004), est celui qui s’approche le plus du free-jazz et ce qui frappe le plus est la participation sur trois morceaux du grand oublié des sorties sur Thirsty Ear; le batteur Hamid Drake. C'est étrange qu'on le retrouve seulement ici, car Hamid Drake joue régulièrement avec les musiciens impliqués sur tous les disques du Blue Series. Guillermo Brown lui a été préféré pour je ne sais quelle raison, mais Hamid Drake est probablement un des meilleurs drummers jazz de notre époque. Is What?! ont sorti trois albums et au fil des disques, ils s'éloignent progressivement du free-jazz pour retrouver une esthétique et une structure plus conventionnelle. Mentionnons cependant, la présence de Roy Campbell à la trompette et d'Hamid Drake sur un morceau chacun du deuxième disque "The Life We Chose". Quoiqu'il en soit, leur premier album demeure celui qui est le près de free-jazz et leur plus intéressant, comme quoi l'expérimentation ne paie pas...



Il y a aussi ce groupe de Minneapolis Kill The Vultures, qui se sont trempés dans l’expérience free-jazz sur leurs trois albums. Le plus intéressant demeure «The Careless Flame » ( Jib Door/Locust 2006). Sur ce disque ils réussissent avec brio à incorporer du saxophone free dans leur pièce titre et un extrait du saxophoniste Sean Behling sur « How Far Can a Dead Man Walk ». Ils incorporent aussi des rythmes saccadées, bancals, des lignes de contrebasse atypiques. Venant agrandir le spectre du free-jazz en utilisant de façon intelligente des échantillons rythmiques. C'est peut être l'échantillonnage qui fait leur force car ils nous ont aussi offert le mini-album « Midnight Pines » en download gratuit , un disque uniquement composés d’échantillons du Sun Ra Arkestra. Le rappeur Crescent Moon, se montre aussi imaginatif que son beatmaker en empruntant un flow près du blues et nettement plus atypique que ce qui se fait dans le rap d'habitude. Je répète: un de mes groupes préférés.





Mais qu'en est-il du côté francophone? Peu d'exemples sont parvenus à mes oreilles de la France, très peu de succès, car je crois que la personne s’en étant approché le plus est sans nul doute le rappeur Rocé, qui sur « Identité en Crescendo » (No Format!, 2006) collabore avec nul autre qu’Archie Shepp sur un morceau. Un duo saxophone/voix qui sur papier, ferait taire Phil Freeman. Sauf que non, le flow de Rocé est beaucoup trop monotone et ennuyant et on commence à comprendre ce que Freeman ressent dans son questionnement...



Naturellement, plusieurs pourront déplorer certains oubliés. Je dois préciser que j'ai tenté de me tenir au plus près du rap et free-jazz, ce qui a pu m'amener à négliger certains artistes qui auraient pu être mentionnés (Dälek, Doseone, K-The-I, entres autres). D'autres aussi que je ne connais pas ou peu, je m'en excuse aussi. Finalement, pour clore la discussion, j'ai été très surpris d'entendre un morceau littéralement free-jazz (la pièce "Will To Power") sur le prochain album de The Roots. Une longue pièce instrumentale, qui permet quand même de croire que tout n'est pas perdu.

vendredi 2 décembre 2011

Rap et Free-Jazz: Chroniques d'une (non) rencontre pt. 5


Si on délaisse la côte ouest américaine, où le métissage semble être né sous l'impulsion du rap et on tourne notre regard de l'autre côté du continent, il est intéressant de remarquer que la pulsion vient ici du jazz.

La figure de proue de cette rencontre est le label Thirsty Ear. C'est l'association du label avec le pianiste jazz new-yorkais Matthew Shipp qui a été le fer de lance. Thirsty avec avec Shipp, ont créé une subdivision du label, nommée Blue series, qui avait comme mission de faire découvrir les nouveaux visages du jazz ainsi que favoriser les rencontres improbables. Ils ont permis la sortie du disque de Spring Heel Jack "Masses" qui, il me semble, a été une des premières sorties du genre à avoir attiré l'attention des connaisseurs de musiques expérimentales. Par la suite, les sorties d'albums se sont enchaînées à un rythme effréné, en nous offrant des perles mais aussi quelques ratages. On peut dire par contre qu'ils ont eu le flair de sortir des albums d'artistes hip-hop de premier plan, comme le tiède "High Water" du producteur/rappeur El-P du groupe new-yorkais Company Flow . Cet album (pas mauvais)instrumental n'est pas passé à la légende, car il s'agit d'un disque plutôt linéaire, mélangeant beats et jazz de façon tout à fait conventionnelle, sans saveur particulière. C'est bien dommage, car cela nous a montré que EL-P n'avait peut-être pas la capacité d'être aussi créatif hors de sa zone de confort. Peut-être aurai-t-il fallu qu'El Producto rappe et invite certains des rappeurs de son label Def Jux, tels Vast Aire, Breeze, Rob Sonic et Big Jus afin de donner une touche un peu plus intéressante.



Des autres rencontres avec des rappeurs de premier plan, il y a eu celle de Matthew Shipp et d'Antipop Consortium "Antipop v.s Matthew Shipp". Cette rencontre m'est apparue inévitable suite au premier spectacle que j'ai vu d'eux à l'ancienne SAT, il y a bien des années. Lors de ce spectacle j'avais été vraiment impressionné par l'utilisation des échantillonneurs et synthés. Le trio de Beans, High priest et M. Sayyd parvenait à créer un véritable free-hop. Cependant, ce qu'ils avaient pu mettre à profit en trio s'est soldé par un échec presque total sur cette rencontre avec Matthew Shipp. C'est d'autant plus dommage qu'on retrouve d'autres musiciens de premiers plans tels le contrebassiste William Parker, le vibraphoniste Khan Jamal , le saxophoniste Daniel Carter et Guillermo Brown aux drums. Tous, à l'exception du dernier, sont des grands noms du free-jazz new-yorkais. L'exercice était intéressant mais bien en deça de mes attentes. Le résultat est un intéressant disque de free-jazz, à la manière du disque de Spring Heel Jack mais où le rap est plus souvent qu'autrement absent, même lorsqu'il est présent... Par ailleurs en tant qu'acheteur de disque compulsif, je ne l'ai pas acheté.. Ça en dit long... Si cet album est sorti il y a plusieurs années, voilà qu'est paru cet été, sans tambour ni trompette, le disque "Knives From Heaven" d'Antipop. Il s'agit d'un disque composé à quatre et on y retrouve Beans et High Priest (sans M. Sayyd) accompagnés de William Parker et Matthew Shipp. Le résultat est très intéressant (plus que son prédécesseur), où on touche plus près à un hybride des deux genres musicaux mais les meilleur moments demeurent instrumentaux. La pertinence des deux rappeurs , pourtant emblématique au début des années 2000, semble s'estomper tranquillement...



Toujours sur Thirsty Ear, le disque de DJ Spooky "Optometry" m'est apparu comme une belle réussite. On y retrouve d'excellents moments de rap avec Napoleon de IsWhat?! et de High Priest d'Antipop. Excellentes collaboration entre Dj Spooky et les musiciens usuels du label; Matthew Shipp, Joe McPhee, William Parker et Guillermo Brown. On retrouve aussi le violoniste Daniel Bernard Roumain et même Pauline Oliveros sur l'excellente pièce spoken word de Carl Hancock Rux ... un excellent disque, probablement un des plus méconnus de la série.






LA réussite du label, demeure néanmoins l'album "Negrophilia" (2005) du rappeur Mike Ladd. Celui-ci avait sorti quelques temps auparavant, "In What Language" (2003)paru sur l'éminent label jazz Pi Recordings , en collaboration avec le pianiste Vijay Iyer et plusieurs de ses collaborateurs. Une réflexion sur les lieux de passage que sont les aéroports, à la lumière d'une xénophobie américaine post 9/11. Ce disque reste ordinaire, car met en en lumière différents poètes, inégaux et je n'ai jamais été fan du jeu de Vijay Iyer et de son collègue Rudresh Mahantappa."Negrophilia" par contre est autre chose. Mike Ladd fait partie de cette lignée de rappeur/artiste spoken word tirant une influence directe de la beat poetry en même temps que le Hip-Hop. Trop peu connu des amateurs de rap, Mike Ladd avait entres autres été derrière le projet de Infesticons, dont le premier album de la trilogie "Gun Hill Road" est sorti sur Big Dada en 2000. Ladd est un penseur, et "Negrophilia" n'échappe pas à cette tendance. Un mélange de jazz, de musique africaine et de Hip-Hop qui sert de trame musicale à l'expression d'un critique juste et acerbe de la culture afro-américaine. Vijay Iyer est toujours présent, mais est lui-même sorti de sa zone de confort avec le batteur Guillermo Brown (encore) et le trompettiste Roy Campbell. Beaucoup d'intensité dans les pièces instrumentales mais le propos acerbe de Mike Ladd compense ses absences. Quand j'entends Mike Ladd, j'entends New-York et à l'instar de Daddy Kev, il est probablement un des artiste hip-hop qui incarne le mieux ce soucie de fusion free-jazz et rap.




À défaut d'y avoir des pièces de Negrophilia sur youtube...