mercredi 31 août 2011

"Music IS Rapid Transportation; from The Beatles to Xenakiss" ( Charivari Press)



Je viens de terminer la lecture d'un livre très intéressant chez Charivari Press. Il s'agit d'une collection de textes de divers auteurs canadiens (Lawrence Joseph, Dan Lander, Donal McGraith, Bill Smith, Alan Stanbridge, Scott Thomson & Vern Weber, édité par Daniel Kernohan) qui s'intéressent de près à la musique. Propriétaires de maison de disques, critiques, organisateurs de spectacles, musiciens à temps partiel, tous font le récit de leur entrée dans la musique sous forme d'une narration chronologique. Comment la musique pop (plusieurs mentionnent The Partridge Family...) de leur enfance leur a servi de portail vers un monde parallèle, celui des musiques spécialisées. Issus de générations différentes, les auteurs abordent leur parcours en s'arrêtant sur les moments marquants de leur vie; les concerts, la découverte d'un nouveau style musical et on note l'amorce d'une réflexion intéressante sur les êtres qu'ils sont devenus.



Ma réflexion est plutôt alimentée par le fait que les auteurs partagent entre eux de nombreuses expériences communes. La première est l'ouverture aux styles de musiques hors-normes à travers le jazz et le rock expérimental: Captain Beefheart, King Crimson, Frank Zappa, etc... Bref, des groupes qui ont réussi à être commercialisés tout en intégrant dans leur démarche des éléments et des idées appartenant à d'autres styles musicaux. Dans le cas de ceux tout juste mentionnés, c'est l'incorporation du jazz, de la musique classique contemporaine et la collaboration avec des musiciens issus de d'autres scènes (Jamie Muir avec King Crimson, par exemple, qui a suscité un questionnement. On remarquera au passage que ces auteurs sont de culture Anglo-Saxonne...



Deuxièmement, ils sont tous devenus des collectionneurs de disques. La recherche musicale semble avoir comme constante la fétichisation de l'oeuvre. Le désir de posséder l'objet devient envahissant et s'ensuit une course folle pour obtenir l'objet convoité. D'autant plus qu'à l'époque de l'avant-internet, socialiser avec les disquaires et s'abonner à des mailing lists de maison de disques, semblaient être les façons les plus accessibles pour avoir accès à des nouvelles musiques. Tous mentionnent aussi la nécessité d'une socialisation particulière, presque hiérophantique, avec des individus qui leur ont fait découvrir de nouveaux artistes et à quel point ces gens sont toujours importants pour eux.

Troisièmement, l'ouverture n'est pas que musicale. La plupart des auteurs font état aussi d'une ouverture au monde de l'art contemporain en général et sur la philosophie, les sciences humaines, etc... La musique ayant servi de point de départ à la découverte d'un autre monde. C'est la quête de possession qui semble être à l'oeuvre encore une fois. Possession intellectuelle cependant, pour s'approprier les idées qui infusent dans la musique.

Finalement, la dernière constante est que cette course folle a aussi permis l'ouverture à d'autres genres musicaux. Progression très naturelle. Je suis presque certain que ces quatre constantes se retrouvent chez tous ceux qui s'intéressent de près à la musique expérimentale. Juste en regardant mon parcours et celui d'amis proches, je peux dire que nous partageons en effet une démarche en tout point similaire.

Il faut donc suivre un fil d'Ariane qui mène aux travers des méandres du comportement humain pour arriver à en faire ressortir les signifiants. Quels sont ceux qui dictent une telle démarche? Bonne question dont je cherche encore la réponse. Pour revenir au livre, les auteurs ajoutent chacun à la fin du livre une liste personnelle de disques ou d'artistes qu'ils qualifient de majeurs et qui ont contribué à leur enrichissement musical. On ne parle plus juste de musique expérimentale ici. D'ailleurs un autre fait intéressant, c'est qu'ils retournent tous à un certain moment de leur vie vers des formes de musiques plus populaires... J'ai aussi été frappé par ceci de particulier: la plupart font mention du groupe Art Bears (et Henry Cow) comme étant un groupe ayant changé leur vie.



Art Bears était formé de Fred Frith à la guitare, Chris Cutler à la batterie et Dagmar Krause au chant. Ce groupe a pris naissance suite à la dissolution d'Henry Cow, à l'origine du mouvement. Des trois je ne connaissais que Frith, en raison de ses disques solos et des collaborations sur le label Tzadik dont Death Ambient et Massacre . Mais je n'apprécie pas encore toute la portée de Art Bears, je continue de penser que c'est un groupe pour baby boomers, faisant saliver ceux derrière la programmation du FIMAV... Peut-être que mon opinion va changer avec le temps, comme elle l'a fait si souvent.

Il va sans dire qu'après la lecture du livre je suis allé écouter plusieurs extraits de Henry Cow et Art Bears mais je ne m'y fais pas encore. Peu importe, car au delà de la musique, il y a toute l'idée derrière le fameux Rock In Opposition. Et c'est cela qui m'a intéressé le plus. Comment des groupes an marges des diffuseurs traditionnels sont arrivées à s'organiser et assurer leur survie par la distribution de disques, la mise sur pied de labels et l'organisation de réseaux de tournées. Un modèle qu'il serait grand temps de revisiter afin d'assurer la survie d'une scène musicale underground de qualité. Plusieurs groupes dans plusieurs pays d'Europe ont adhéré à ce que je me permet de qualifier de mouvement politique; entres autres Aksak Maboul en Belgique et Etron Fou Leloublan en France. j'avais déjà lu sur le mouvement et connaissais les groupes qui en faisaient parti mais on dirait que de plus en plus, j'en retire quelque chose de plus urgent. Comme le besoin de revenir à une politisation de l'acte musical, de faire une musique politique dans sa forme et pas nécessairement dans son contenu.



lundi 15 août 2011

Lewis Parker: "Masquerades & Silhouettes" (Melankolic, 1998)




Je ne l'avais pas vu arriver. Quand on m'a parlé de Lewis Parker pour la première fois, j'ai tout de suite pensé à un jazzman. Quand j'ai vu le disque, mon impression ne faisait que se confirmer. Mais on m'a assuré que c'était bien du rap, du bon. Que je pouvais glisser le cd dans mon lecteur et que je ne serais pas déçu. Qu'il s'agissait d'un grand album; cohérent, travaillé, des bons beats et des textes réfléchis. On m'avait dit la vérité. À partir de ce moment, "Masquerades & Silhouettes" m'a suivi partout en cassette, comme la trame sonore de la fin du millénaire, en symbiose avec mes préoccupations et mes questionnements.



En fouillant un peu, on voit que plusieurs amateurs partagent cette opinion, que ce premier album de Lewis Parker s'est imposé avec le temps comme un classique du rap U.K., au même titre que "Brand New Second Hand" de Roots Manuva. Sauf que le label ayant sorti ce disque n'avait rien à voir avec Big Dada et Ninja Tune, c'était plutôt le label du groupe Massive Attack, Melankolic, division de Virgin. Avec ce label, les musiciens de Massive Attack souhaitaient faire connaître des artistes underground de Londres, leurs collaborateurs ou des musiciens méconnus méritant une vitrine à plus grande échelle. Une équipe expérimentée était derrière le label et ils avaient les moyens de leurs ambitions; l'utilisation des échantillons est légale.

Ce qui frappe d'abord est la superbe direction artistique d'un certain Stephen Male; l'esthétique visuelle de la pochette est irréprochable, un clin d'oeil aux couvertures de LP de jazz avec seulement une silhouette qui marche sur la grève, souliers à la main. Rien de bien hip-hop... Surplombé d'une typographie classique avec un sous-titre qui nous éloigne encore de nos habitudes: "The Ancient Series One" (Il était supposé avoir toute une série d'albums de Lewis Parker mais finalement ça ne semble pas s'être concrétisé, il y a eu le "Ancient Series Three", mais pas de deux...). La production est assurée par Parker lui-même mais il est aidé par The Sea sur la prod additionnelle. J'ai comme l'impression que c'est cet apport qui scelle ce disque d'une formidable cohérence au niveau sonore. Peu de featurings aussi, seulement un certain Supa T sur deux pièces et la présence de DJ Bias sur la plupart des morceaux. Au résultat, un disque court; 8 chansons, 36 minutes, frôlant la perfection.



Lewis Parker se présente sous des crépitements de vinyles et des breaks poussiéreux, envoûtants, épousant les formes de sa mystique. C'est un rappeur en mission, qui développe au travers de ses chansons une trame narrative où il traverse le désert des faux-semblants pour pourfendre les wack mc's. Représentant d'un hip-hop libéré de ses artifices, son combat fait écho à celui de ses homologues américains avec les débuts d'Anticon, de Mush et d'une certaine intelligentsia underground américaine (New-Yorkaise principalement). Sauf que Parker est plus mélodique, plus lyrique et semble être moins nourri d'agressivité. Il reste calme et posé sur l'ensemble de l'album, laissant transparaître une attitude détachée, s'élevant au-dessus de la situation trompeuse du Hip-Hop de l'époque. De plus, il prône une transcendance, l'illumination pour accéder au savoir qui permet de distinguer le faux du vrai. Avec le recul cependant, on se rend compte que l'outillage de ses métaphore est un peu puérile; des métaphores de chevaliers, de jedis, "la force", le troisième oeil, etc. Rien de bien substantiel au final. Des clichés d'une spiritualité de masse, plus proche de la culture populaire que ceux véhiculé par Kunga 219 dans "Tharpa's Transcript" (par exemple).



Parker joue la carte du mystique sans trop approfondir. En gardant les concepts superficiels, il se garantit d'être compris par un plus grand nombre de personnes. Il parvient à écrire des textes hybrides entre la quête spirituelle véritable et les préoccupations futiles d'un jeune artiste hip-hop londonien. Mais comme beaucoup d'autres sa droiture spirituelle s'est affaissé après son premier disque (un peu comme Kunga 219, d'ailleurs...). Difficile de garder cette ligne directrice, surtout pour des considérations artistiques. Ça ne prends pas de temps avant de redevenir qu'un humain comme les autres. Pour la majorité des jeunes rappeurs qui ont exploré cette branche, le résultat est le même; ils finissent toujours par se heurter au dur sol de la réalité. Pas de pouvoirs extra-sensoriels, pas de complots, pas de magie. Juste leur pauvre égo aux prises avec la même réalité que tous les autres. On peut toujours se faire croire des choses, reste que la réalité nous rattrape toujours.


mardi 9 août 2011

Cut Hands "Afro Noise I " (Very Friendly, 2011)


Je suis très peu familier avec le groupe Whitehouse. Je ne sais pas si s'être submergé dans leur musique est un prérequis pour appréhender la musique de Cut Hands...

Cut Hands, les mains coupées. Il ne reste que des moignons noircis par le feu pour éviter que la gangrène se propage. William Bennett est un homme de concepts... et d'excès. Seul membre érigé de Whitehouse,groupe à géométrie variable depuis 1980, où Bennett et plusieurs collaborateurs ont exploré l'excès à travers la musique. Des signifiants hautement sexualisés qui servent à transgresser les tabous; perversions, viol, pédophilie, sado-masochisme... Bien souvent les mots qui ont accompagné la musique de Whitehouse étaient tout aussi provocateur et sexualisés, comme le soulignent les collaborations avec l'écrivain Peter Sotos. Est-ce que Cut Hands est différent de Whitehouse? Surement au niveau du contenant, mais je crois bien que le contenu reste le même. Je serais surpris de lire que Bennett a voulu faire un album léger avec ce projet, d'oublier les idées et les images qui infusent sa musique depuis plus de trente ans.

Si la Sharia prescrit aux législateurs de couper la main à celui qui vole, la sentence s'est pervertie et a affecté des travailleurs miniers et agricoles du Congo de l'ère coloniale. En fait, le mot travailleurs est bien ironique. Les mains coupées,; c'est le sort réservé à l'esclave qui ne sert plus à rien et dont on veut éviter qu'il travaille pour la compétition. Cette façon de faire a été décrié par plusieurs et l'élection démocratique de Lumumba ne mena qu'à son assassinat et au retour de l'exploitation.

Quel est donc le message que veut passer William Bennett avec Cut Hands, un projet dit "Afro-Noise" ? Bennett n'incarne-t-il pas le blanc colonisateur qui pille les ressources d'une culture pour la ramener à l'occident en tant qu'homme blanc conquérant? Où s'agit-il d'une oeuvre d'amour, de profonde révérence envers une culture qui le fascine? Y a-t-il une différence entre ses deux positions... bien sûr on peut nuancer. Reste qu'en raison de son parcours, je questionne l'intention.

Il y a quelque chose de profondément morbide dans la musique de Cut Hands; trame sonore d'un film afro-futuriste où des esclaves meurent dans des mines sombres, ne pouvant rêver que de la lumière du jour. Ils cherchent le salut dans la transe et la possession, les seules façons qui leur reste d'échapper à leur prison corporelle. Le mélange de noise et de percussions de style africaines est particulier. En mélangeant pecussions traditionnelles et synthétiseurs, Cut Hands parvient à créer une musique électronique hypnotisante et intrigante. Les pièces rythmées sont parfois entrecoupées de pièces de synthés mais l'introduction qu'est "Welcome to the Feast of Trumpets", avec sa rythmique plus posée est une de mes pièces préférée du disque.




Particulière aussi la vision fantasmatique de l'esclave africain qu'entretient Bennett; celle de l'animiste qui utilise la sorcellerie pour retrouver la liberté de son esprit. D'ailleurs il utilise comme image des vévés archaïques tracés par une certaine Mimsy De Blois. Dans le vaudou créole, les vévés sont tracés autour du potomitan (poteau central), la pochette du disque représente-elle ce phallus dressé à l'instar de l'album "Erector" de Whitehouse? Une chose est sûre, Bennett est parvenu à m'intriguer.




Je lisais récemment des trucs sur Throbbing Gristle, Psychic TV et leurs amis. En particulier sur le Temple Ov Psychic Youth (TOPY). Intéressante corrélation entre la magie, la sexualité et la musique