lundi 13 juin 2011

De la Caucase : "La mort cruelle de Marcel Léart" (auto-produit, 2008)


Les affiches de concert attirent mon attention. Ça m'intéresse, non seulement de savoir qui joue mais aussi les designs, les couleurs, la typo utilisée, le papier... Il y en a une qui a capté mon attention au Atom Heart, c'était en 2007 ou 2008, une immense affiche qui annonçait un concert du groupe De la Caucase. L'image était sobre et belle, un visage sur fond gris. On m'a alors expliqué que De la Caucase était le projet d'un gars nommé Hrair et qu'il faisait parfois des concerts avec Radwan Moumneh à l'époque des débuts de Jerusalem in My Heart. J'ai d'ailleurs vu un spectacle des deux hommes en duo dans le restaurant Sala Rosa rempli comme jamais. En fait, je ne voyais pas grand chose, mais j'ai entendu.

Un jour, alors que je traînais à l'Oblique, j'ai remarqué un cd dans la section groupes locaux. À ma surprise il s'agissait d'un ep du groupe De la Caucase. En m'informant, on m'a dit que le gars du groupe était venu porter des cd cette semaine, qu'ils venaient de les avoir au magasin. J'en ai acheté un immédiatement. Une chance que je compulse parfois car lorsque je suis retourné à l'Oblique la semaine suivante, tout en vantant la musique du cd acheté, j'apprenais que Hrair était venu reprendre les cd laissé en consigne. Michel, le disquaire, s'était même excusé d'avoir vendu une copie à un ami (moi en l'occurence). Hrair aurait invoqué une raison obscure pour justifier la décision de reprendre les disques (une histoire de subvention?).

Marcel Léart est le nom d'emprunt de l'écrivain arménien Krikor Zohrab (1861-1915). Politicien réputé et proche du ministre de l'intérieur turc Talat Pasha, il a dénoncé les atrocités vécues par son peuple lors du génocide arménien. Malgré tout, il fut lui-même arrêté et exécuté sans procès le 21 mai 1915. Hrair Hratchian semble donc faire parti de cette catégorie d'artistes en exils, qui tentent par tous les moyens de renouer avec leur héritage culturel, de reprendre possession des biens dont l'immigration les a dépossédé. En mariant tradition et modernité, cette jeunesse errante parvient souvent à créer une musique intemporelle, dépassant largement les frontières et les références culturelles. Pour ce mini album, Hrair est accompagné par Jean-Pierre Lézada-Côté à la guitare, Alexandre Jobert à la basse et Numa Dallaire à la batterie. Pour sa part, Hrair chante et joue du doudouk; sorte de hautbois arménien. Le groupe nous offre quatre titres magistraux, oscillant entre rock répétitif et musique traditionnelle arménienne. Le côté répétitif et minimal des compositions plus rock me rappellent même un peu Swans ou Rhys Chatham.



La première pièce, dont le titre est écrit en arménien est soutenue par rythmique d'enfer et laisse le chant de Hrair (en arménien aussi)se déployer dans une intensité grandissante jusqu'à une finale malheureusement avortée en fade out. "Proposition d'une marche funèbre" suit une rythmique imposée par la guitare électrique et c'est le chant mélancolique du doudouk qui attire nos fantasmes vers une mort imminente; marche forcée vers le destin. "La mort cruelle de Marcel Léart" met en musique un texte en français, déclamé avec l'intensité caractéristique du leader du groupe, soutenu par une superbe ligne mélodique jouée à la guitare et au doudouk. Le drum est simple, constant et répétitif. "Vers la mer" clôt le disque de façon superbe, une pièce solo de doudouk, empreinte de mélancolie. Une mélodie qui me rappelle la musique klezmer à son plus triste, une musique d'exil qui en demande qu'à rentrer chez elle.

Avec l'autorisation de Hrair c'est http://www.mediafire.com/?5ce58n63b8d95dm

mercredi 1 juin 2011

Odezenne: " O.V.N.I." (Universeul, 2011)


Il y a des moments dans notre vie où on regrette d'être passé à côté de quelque chose. En 2008, Héliodrome était en tournée en France et de passage à la ville de Bordeaux. Les gens qui nous hébergeaient nous ont amené au disquaire Total Heaven (que j'ai finalement compris le nom qu'ils me disaient qu'en voyant l'affiche, car des français qui disent le mot Heaven en anglais, ce n'est pas évident.) et nous avons fait la connaissance de Martial le proprio. Je souhaitait acheter des disques locaux, rap ou non et Martial m'a proposé une nouveauté d'un groupe local nommée O2ZEN dont l'album s'appelait "Sans chantilly". J'avais trouvé l'écoute agréable mais n'ait pas accroché d'emblée. Par la suite j'ai su que nous allions jouer avec ce groupe au bar l'Inca (RIP). Pour ce spectacle, nous partagions l'affiche avec Thesis Sahib, Fritz Tha Cat et Zoën. J'étais heureux de retrouver des compatriotes canadiens, d'autant plus que Thesis était l'ami de Scott Da Ros et Bleubird et que j'admirais son travail en tant que graffeur. J'étais aussi curieux de faire la connaissance de Fritz The Cat,un auteur que j'avais suivi dans les débuts du magazine Vice et qui s'occupait de la section Hip-Hop. Ainsi, j'ai passé à côté de l'occasion de faire connaissance avec le groupe O2ZEN et je m'en veut aujourd'hui. Je m'en veut aussi de ne pas avoir acheter leur album ou minimalement tenté de l'échanger contre le nôtre... J'écoute présentement leur vieux titres sur Youtube et je trouve ça super bien fait.



Ce qui est pire, c'est que le groupe bordelais est passé de O2ZEN à Odezenne et vient de sortir un nouveau disque intitulé "O.V.N.I." pour "Orchestre Virtuose National Incompétent" et que ce nouveau disque est tout simplement génial. Comme j'étais déjà en train de me réconcilier avec le rap français je ne suis pas trop abasourdi par l'objet, sonné mais encore capable de garder un esprit critique.

Dommage que les gars d'Odezenne n'ait pas fait de version vinyle de leur album car le cd est superbe. Un visuel léché, des photos pour chaque chansons avec les paroles, une carte de Tarot sur le dessus et le cd dans une pochette bleu marin/doré. Voilà pour le contenant.

Et le contenu? À la hauteur, largement. Les beats comme les textes sont bien ficelés, rythmé de façon créative, des sons électroniques, des sonorités linguistiques qui décroche un sourire... Il y a cinq membres dans Odezenne; deux rappeurs, un guitariste, un dj et une danseuse/choriste. Cependant, si l'artiste qui a signé le visuel du cd n'est pas dans le groupe, il n'en est pas très loin.

Le cd débute en force avec le titre "Saxophone", inspiré de la comptine "Trois petits chats, trois petits chats, chat chat..." (vous connaissez la suite).Ils explorent les sonorités des mots avec une agilité surprenante et les associations d'idées sont jouissives. Un des meilleurs morceaux de rap que entendu récemment.



Le reste de l'album demeure tout aussi intéressant. En l'écoutant en boucle depuis la semaine dernière, je me suis vu comparer les rappeurs d'Odezenne avec Mc Solaar et Serge Gainsbourg, surtout dans leur façon de raconter des histoires et d'explorer les métaphores. Mais c'est surtout les sonorités et la façon de se poser sur certains beats qui ont évoqué Solaar. Au niveau de beats, les échantillons jazz poussiéreux présents côte-à-côte avec les synthés électros, donnent une touche magique à l'ensemble. Ce n'est pas sans rappeler Madlib à certains moments de sa carrière, mais moins échantillonné. Très beau travail sur les drums qui sont diversifiés dans leur son et leur rythmique. Vraiment un disque cool (comme dans "Birth of The Cool" de Miles Davis). Certains moments plus électros, couplé avec un flow nonchalant, soulèvent même la poussière de TTC à leur époque "Bâtards Sensibles". Mais Odezenne restent aussi des puristes Hip-Hop comme sur la pièce "Hirondelles" et viennent balancer originalité et conformisme tant au niveau des textes que des sons.




Excellent.